
Des rives lointaines, Laurent Martin.
Le passage.
Laurent Martin m’énerve
au plus au point. Il ne faut surtout pas lire ces livres. Après
ça, la littérature noire, blanche ou colorée,
va vous paraître vite terne. Vous ne voudrez plus jamais entamer
des pavés écrits à la troisième personne,
documentés à mort sur des moteurs de recherches.
Tout va vous tomber des mains, vous serez prévenu.
Laurent Martin fait dans le concis, le pur. L’essence du roman.
Dans « Des rives lointaines », les lieux se résument
aux noms de leur fonction, l’usine, la rue, la ville. Pas de
géographie humaine basée sur une certaine réalité
sociale, pas d’inscription dans un lieu réel ou ayant
existé.
L’intrigue se résume à la quintessence du roman
noir, un meurtre. Le cadavre du directeur de l’usine retrouvé
sans vie. Assassiné.
Le style se contente de l’essentiel, des phrases courtes, pas
chargées d’adjectifs, de compléments d’objets
directs. Simple. Des descriptions minimalistes. Aucune psychologie
des personnages copier/coller d’un vieux manuel de psycho. Limpide.
Le récit demeure court. Bref.
Pourtant, quelle richesse ! L’histoire persiste, reste imprimée,
travaille. Les héros existent, vous les avez rencontrés,
puisque c’est vous. Ils sont là. Les lieux vous hantent,
même si vous habitez loin de la ville.
Laurent Martin parvient avec si peu, à faire tant. Suggérer
plutôt que de démontrer à longueur de pages, de
descriptions inutiles, provoque un malaise. Des émotions rares.
Subtiles.
Il ne faut pas lire Laurent Martin, je vous aurai prévenu.
Manu.

Laurent Martin, L'ivresse des dieux
Série Noire, Gallimard, 2002.
Max Ripolini
est un policier municipal de Marne la vallée, il vient de vivre
un drame qui va le faire s'intéresser à une affaire
de meurtres en série
L'auteur a décidé de confronter la Tragédie Grecque
au roman noir, le livre est ainsi partagé entre le narrateur
qui raconte son histoire, le chur qui correspond à la
cité (ici Marne la Vallée, autre personnage du roman)
et le coryphée qui fait des commentaires sur les actions et
pensées du héros. Ce rapport à la Tragédie
pourrait n'être qu'un exercice de style, un jeu vain s'il n'apportait
rien à l'histoire, ce n'est pas le cas ici. Ce chur,
ce coryphée permet d'avoir plusieurs angles de visions sur
chaque action, à la manière de caméra de surveillance,
mais aussi permet d'être à la fois à l'intérieur
de Max et à l'extérieur, donnant du relief à
son existence, cela permet de s'intéresser à l'individu
et à ce qui l'entoure.
Une idée
intéressante est aussi d'avoir pris comme héros, comme
centre un policier municipal, ce n'est pas lui qui mène l'enquête
directement, il est un peu en marge, il est bien placé pour regarder
ce qu'il se passe autour de lui avec un léger recul. Ainsi ce
n'est pas l'intrigue et la recherche de " qui tue qui et pourquoi
" qui intéresse Laurent Martin, mais comment ces meurtres
influent sur les personnages, leurs réactions et interactions,
ce qui l'intéresse, c'est ce qui passe autour, et ce flic municipal
symbolise aussi les intentions de l'auteur, son rapport au genre, à
la fois au centre et à la marge. Une variation. Un mélange
de diverses influences, le néopolar français avec sa cité,
sa description sociologique précise d'un lieu, (qui n'évite
pas toujours la caricature, en particulier avec ses jeunes voyous un
peu attendus dans leur comportement), son flic paumé et alcoolique,
et le roman noir à l'américaine avec cette enquête
sur un tueur en série, le côté pyschopathologique.
Ces références se mêlent souplement grâce
à l'écriture de Laurent Martin. Un style fait de phrases
courtes, très courtes, un travail sur la répétition,
sur les assonances qui donnent un rythme rapide tout en laissant l'impression
d'un monde à l'arrêt, une écriture qui colle à
l'ambiance atone qui baigne tout le livre.
Le vocabulaire simple et précis, avec de brusques envolées
poétiques, les dialogues qui sonnent justes montrent le savoir-faire
de Laurent Martin et achèvent de faire de l'Ivresse des Dieux
un roman noir qui mérite tout à fait le grand prix de
littérature policière qu'il a reçu.
Baptiste

Laurent Martin,
La tribu des morts, Série Noire, Gallimard, 2004
Mangin est un flic qui enquête sur le meurtre d’un zaïrois, tué d’un coup de machette à Marne La Vallée, des personnages douteux (de la DST) vont lui mettre des bâtons dans les roues.
Livre très intéressant, d’abord pour son style, épuré, truffé de trouvailles, comme ces phrases qui commencent par des mots qui se répètent, ont des ratés au démarrage, cette façon d’écrire « Description. » avant de commencer une description. Laurent Martin tente de toujours aller vers plus de simplicité, tout en cherchant des formes originales et nouvelles, créant un rythme très particulier. Mais cela n’est pas un exercice de style, ces recherches formelles se coulent dans le livre, elles ne sont pas mises en avant, au contraire elles sont là pour donner plus de fluidité à l’ensemble, ainsi ces nombreux dialogues qui font avancer l’enquête, entrecoupés de textes sur des masques tribaux.
L’ambiance est noire, l’histoire documentée mais il se refuse à faire un livre dossier, autant aller voir les livres de Verschave par exemple qui sont cités en annexe. Pour lui un roman noir est une œuvre artistique et non un article journalistique, ni un réquisitoire ou un essai, ce qui compte c’est comment cette histoire, cette Afrique meurtrie par un colonialisme toujours présent a des répercussions sur les personnages et par là-même sur nous. Laurent Martin croit trop dans la littérature pour l’utiliser uniquement comme moyen de transmettre un message, la littérature se doit d’être un lieu d’échange entre la pensée, la sensibilité de l’auteur, et notre sensibilité de lecteur.
La construction de l’histoire laisse des trous, elle maintient l’attention mais n’hésite pas à rester flou, nous permettant d’y laisser notre propre imaginaire…
Baptiste
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