Alain Gagnol, Les lumières de frigo
Série Noire, Gallimard, 1997

Histoire : Un tueur à gage qui se fait passer pour un représentant en chaussure dit la vérité à sa femme, elle s'énerve, il lui donne un coup et elle tombe dans le coma. Ensuite on suit sa dérive, sa désespérance, ses souvenirs sur comme il en est arrivé là. Il arrête le métier et est poursuivi par deux autres tueurs. Il retrouve sa sœur, tue un de ceux qui le poursuivent, et se retrouve un peu seul face à son passé mais quelque part il est libéré.
Style : intrigue très simple mais astucieusement raconté, il n'est pas linéaire, on suit le héros puis les tueurs peu de temps avant, mais on ne se perd pas. Donc intrigue simple mais nettement suffisante, ce n'est pas sa qui importe mais la dérive du héros très bien écrite. Là aussi l'écriture est sans fioriture, très simple (phrases courtes, vocabulaires peu recherché, pas trop de métaphore) mais très maîtrisé, très peu de description, on ne sait pas où on se trouve, peu de description psychologique juste des notes froides sur ses comportements. Vraiment très bien.
Les auteurs de roman noir ont trop souvent tendance à vouloir se faire pardonner d'écrire une littérature de gare en s'appliquant à faire de belles phrases avec un vocabulaire très riche, de nombreuses métaphores, tellement que cela en devient indigeste, quel plaisir alors de lire Gagnol, qui travaille lui aussi son style mais dans le sens de l'épure. Il ne se perd pas en phrases définitives et sentencieuses sur la vie, il est plutôt l'écrivain de l'hésitation. Son écriture est heurtée.
Il ne faut pas s'attendre à une intrigue très riche avec de nombreux retournements, chausse-trappe, surprise, ici pas de suspense, pas de coup de théâtre, juste la description sobre d'une dérive. Juste la rencontre avec un monde très personnel quand il est toujours trop tard.

 

Alain Gagnol, Est-ce que les aveugles sont plus malheureux que les sourds ?

La Noire, Gallimard, 2000

Histoire : un groupe d'amis qui sont dans une ville de province, qui ont un peu plus que 18 ans et qui s'ennuient. L'un d'eux sort avec une amie de sa mère et lui et son pote font le projet de la tuer. Mais ils ne mettent jamais leur projet à exécutions, se contentant d'en parler, et de passer des soirées minables à boire et à penser aux filles, à ceux qui sont parties… Dans une ambiance plutôt violente, où des membres du groupe se font taper sans raison, par d'autres qui doivent s'ennuyer aussi.
Style : l'épure. Intrigue quasiment inexistante. Juste un groupe qui s'ennuie. Très bonne description de l'ambiance, du milieu mais avec une sobriété étincelante. Pas d'intrigue, pas de description ou presque (ça pourrait se passer ici ou ailleurs dans tous les lieux ou l'on s'ennuie) et pourtant il arrive à faire un sentiment assez fort sur l'inutilité de la vie, le vocabulaire est volontairement relativement simple.

 

Alain Gagnol, la Femme Patiente

le Cherche Midi, 2002

Une femme attend devant la maison d'un homme macho et égoïste, elle ne dit rien, ne demande rien. Entre ces deux personnes va se créer un rapport étrange fait de domination, d'humiliation mais qui domine ?
Alain Gagnol crée un mystère avec un début simple et fort. L'histoire est d'une grande limpidité mais parle sans avoir l'air d'y toucher de la soumission, la cruauté, l'indifférence à l'autre, la responsabilité, l'attachement…

On retrouve aussi un thème important d'Alain Gagnol, le parcours initiatique, la transformation. Dans ses trois premiers très bon livres, Alain Gagnol faisait le portrait d'hommes qui n'arrivaient pas à vivre, et essayaient désespérément de rentrer en contact avec le monde. Dans celui-ci, il décrit le chemin d'un homme qui a sa petite vie, égoïste, qui ne respecte pas les autres et surtout les femmes qu'il drague et jette, et qui, confronté à une altérité qu'il ne comprend pas, va devoir changer, s'ouvrir.
Mais à la différence de ses livres précédents, il essaie d'aller vers l'extérieur, son œuvre jusqu'à présent centrée sur le narrateur, s'excentre sur le personnage pivot de ce livre, soit la femme patiente, tout d'un bloc de violence rentrée. Alain Gagnol semble vouloir aussi s'ouvrir, il quitte légèrement la noirceur totale qui faisait sa force pour ne pas risquer l'asphyxie.
On est encore loin d'une franche rigolade, juste que Gagnol insiste moins sur la noirceur pour aller encore plus vers la simplicité à la limite du décharnement, limite qu'il ne franchit pas grâce à la force de ses personnages.
Son écriture est rapide, directe, faite de dialogues, et de courts passages entre peu de description. Toujours la volonté de retranchement de l'auteur qui crée un style très sec sans aucune fioriture, d'utiliser un vocabulaire simple à la recherche du mot juste.
Un livre glaçant qui suit une ligne solide.

Baptiste